Interview d'auteur

Quel avenir pour la fin de vie ?


L'actualité du projet de loi française relatif à l’accompagnement des malades et l’aide à mourir tout récemment soumis au Conseil d’État n’est pas sans susciter de profonds questionnements dans l’ensemble de notre société. Quelles avancées sont attendues par rapport au cadre législatif existant ? Sommes-nous une majorité en France à souhaiter des évolutions ? À quelles difficultés risquent de s’exposer les personnels soignants pour la mise en œuvre des nouveaux dispositifs envisagés ?

> Éclairages de Frédéric Balard, maître de conférences en sociologie à l’Université de Lorraine, auteur de l’ouvrage La fin de vie à paraître le 11 avril prochain au sein de notre collection « L’Opportune ».



1) Aura-t-il vraiment fallu attendre le début des années 2000 (Loi Leonetti, 2005) pour que les parlementaires français s’intéressent d’un peu plus près à la fin de vie et son accompagnement dans notre pays ?

Frédéric Balard : La question de la fin de vie est ancienne. Sur le plan politique en France, on peut remonter à la fin des années 1970 puisque c’est en avril 1978 que le sénateur Henri Cavaillet, avocat de formation, dépose la première proposition de loi relative au droit de « vivre sa mort ». Depuis, les questions de la fin de vie et de son accompagnement sont des sujets politiques récurrents. Les années 1980 ont été marquées par une opposition structurante sur ce sujet avec d’un côté la création de l’association pour le droit à mourir dans la dignité, de l’autre les associations Jusqu’à la mort accompagner la vie (JALMALV) et Accompagner en soins palliatifs (ASP). C’est d’ailleurs à la fin des années 1980 que sera créée la première unité de soins palliatifs.

2) Quels seront les nouveaux apports du projet de loi que s’apprête à soumettre le gouvernement à l’Assemblée nationale ? Sur quels plans (médical, éthique, etc.) des avancées significatives sont-elles envisageables ?

F. B. : Pour l’instant, il ne s’agit que d’un projet de loi dont je n’ai pu lire que des bribes et qui propose d’aller plus loin que la Loi Claeys-Leonetti. Outre la désignation d’une personne de confiance, cette loi visait à lutter contre l’obstination déraisonnable, c’est-à-dire des soins disproportionnés et inutiles pour des personnes en fin de vie. Elle octroyait surtout au patient la possibilité de demander une sédation profonde et continue jusqu’au décès en cas de souffrance intolérable. Cette sédation profonde et continue était mise en œuvre selon une procédure collégiale réglementaire permettant à l'équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions soient remplies.

Ce nouveau projet de loi va plus loin en permettant de demander une « aide active à mourir » pour des personnes souffrant d’une maladie incurable et d’un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme.

Il revient ensuite à l’équipe médicale – comme dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti – de décider collégialement de valider ou non cette demande. Si elle est validée, la personne s’administre elle-même la substance ou, si elle n’est pas physiquement capable de le faire, cela peut être fait par un tiers désigné par elle.

3) La question du consentement des patients en fin de vie qui choisiraient d’abréger leurs souffrances apparaît centrale dans les réflexions qui sont menées. Quels seraient les dispositifs qui permettraient de garantir la décision totalement éclairée de ces patients ?

F. B. : La question du consentement est une question qui est au cœur de la relation entre les patients et la médecine au moins depuis 1947 et le Code de Nuremberg. Elle a encore été renforcée en France avec la loi de 2002 dite de « démocratie sanitaire » relative aux droits des patients. Dans le cadre de ce projet de loi, le consentement est direct puisque c’est le patient lui-même qui peut demander cette aide à mourir. Ce n’est pas une proposition que l’équipe médicale ferait au patient qui pourrait accepter ou non. Le projet prévoit que la personne doit être majeure et être capable de discernement. Les personnes atteintes de maladies psychiatriques ou dégénératives sont donc exclues du dispositif. Bien sûr, on pourra objecter que toutes décisions, que tous consentements sont pris dans des rapports de pouvoirs. C’est d’ailleurs pour cela qu’en Suisse, les demandes de suicide assisté sont accompagnées d’une enquête pour vérifier qu’il n’y a pas de mobile égoïste d’un proche qui pousserait le malade à faire cette demande.
Dans le projet de loi, il ne faut pas perdre de vue que seules les personnes en fin de vie et avec une maladie incurable peuvent demander cette aide à mourir. In fine, c’est l’équipe médicale qui examine la demande et qui peut refuser. Le patient devra alors demander un recours. Si la demande est acceptée, la prescription est valable trois mois. Le patient a donc le temps de se désister et cela arrive si l’on en croit l’expérience des pays dans lesquels existent les aides médicales à mourir.

4) Il semble que deux positionnements idéologiques s’affrontent en France, d’une part les défenseurs du droit aux soins, et d’autre part les partisans du droit à mourir. Qu’est-ce qui les oppose fondamentalement ?

F. B. : Historiquement et de manière un peu caricaturale, on peut considérer qu’il y a une opposition d’ordre idéologique et religieux. D’un côté, les personnes qui considèrent qu’on ne devrait pas légiférer et intervenir sur la mort mais uniquement sur la souffrance et, de l’autre, celles qui considèrent que c’est à l’être humain – et non à Dieu – de prendre en charge cette question puisque l’allongement de la vie et des fins de vie sont le fruit des progrès humains. Aujourd’hui, les deux « camps » s’accordent globalement sur l’idée que la mort doit avoir lieu sans souffrance. D’aucuns considèrent que les soins palliatifs suffisent à répondre à toutes les situations de fin de vie, mais que la mort n’a pas à être « donnée » quand d’autres estiment que certaines situations de fin de vie ne sont pas couvertes par les soins palliatifs et que c’est au patient « mourant » de décider du moment de sa mort. Pour finir, ce sont deux conceptions du soin qui s’opposent. Jusqu’où vont le soin et la sollicitude qui l’accompagne ? Hâter la mort d’une personne qui souffre et qui va mourir, est-ce un soin ? Pour une majorité de soignants, en particulier en soins palliatifs, ce n’en est pas un. Dans les pays ayant mis en œuvre des aides médicales à mourir, cela relève des soins de fin de vie. En France, la principale opposition des soignants semble moins être une opposition de principe qu’un refus de pratique, c’est-à-dire refuser d’être un acteur de la mort d’un patient alors que l’on a été formé pour soigner.
Si le projet de loi associe cette question de l’aide à mourir avec un renforcement des soins palliatifs, c’est bien pour défendre l’idée d’une continuité dans la prise en charge de la fin de vie et de la mort.

5) Pensez-vous que les conditions d’un débat apaisé soient désormais réunies en France pour dépasser les oppositions autour de la question de l’aide médicale à mourir ?

F. B. : De nombreux sondages montrent qu’une majorité de Français sont favorables à l’idée d’une aide à mourir, et ce depuis plusieurs décennies. Bien sûr, il faut être prudent sur l’interprétation des sondages, car cela dépend d’une part de la manière dont la question est posée et d’autre part, la plupart des répondants ne sont pas directement concernés par la question. Néanmoins, on voit que si des oppositions demeurent – notamment du côté de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs – l’avis favorable rendu par le Comité consultatif national d’éthique puis par le rapport issu de la Convention citoyenne facilite aujourd’hui les choses.

Le fait que de plus en plus de pays, y compris des pays historiquement catholiques comme l’Espagne, ont ouvert la voie aux aides médicales à mourir contribue sûrement à alimenter les débats non plus à partir de positions de principes mais à partir de situations concrètes.

Aujourd’hui, il n’est plus possible de dire que si les aides à mourir devaient être mises en œuvre en France, ce serait une véritable « rupture anthropologique », comme je l’ai parfois entendu. D’une part, de tout temps et dans toutes les cultures, il y a eu des pratiques, clandestines ou non, d’aide à mourir, d’autre part, on sait qu’un certain nombre de nos concitoyens partent en Belgique ou en Suisse pour mourir. Il serait hypocrite de l’ignorer.

6) Selon vous, quelles sont les principales « difficultés » qui accompagneraient la mise en œuvre de ces dispositifs d’aide à mourir ?

F. B. : Les difficultés de ce type de projet de loi sont moins dans les principes de loi que dans les pratiques et les cas. Derrière les termes de la loi se trouvent toujours des situations singulières. Définir ce qu’est une maladie incurable et un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Que signifie « moyen terme » ? Il est des maladies incurables avec lesquelles on peut vivre plusieurs années. Qu’est-ce qu’une souffrance réfractaire ? Comment et par qui est-elle évaluée ? Il en est de même pour la capacité de discernement. Comment sera évalué le discernement ? Et par qui ? Bien sûr, il y aura des normes, des outils de mesures et des discussions collégiales mais derrière ces éléments, il y aura toujours – et c’est heureux – des humains qui évaluent aussi en fonction de leurs convictions.
Enfin, il s’agit d’une loi qui comporte un volet relatif à l’autodétermination, le pouvoir de décider pour soi-même. Dans le projet de loi, on voit que ce pouvoir est limité à certaines situations voire à certaines personnes et que d’autres en sont en quelque sorte privées : les mineurs, les malades d’Alzheimer ou les personnes souffrant de maladies psychiatriques par exemple. Au nom de l’égalitarisme et à l’heure de la société inclusive, n’est-ce pas discriminatoire que de penser qu’un mineur ne puisse souffrir de maladie incurable et de souffrance réfractaire ? Ne serait-il pas inique qu’une personne incurable et souffrante soit exclue du dispositif au motif qu’elle est aussi atteinte d’une maladie psychiatrique ou dégénérative ?

> La fin de vie, par Frédéric Balard, l’essentiel à savoir en 64 pages sur la notion de fin de vie, sur cinquante années de controverses relatives au « mal mourir ».